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L’art est un vecteur de voyages insolites et infinis

« Jeunesse, élançons-nous, voiles ouvertes, dans l’immense lumière où la boue de la terre sèche et s’effrite. »  Adagio, Félix Leclerc

Quand j’étais petite, je voulais avoir une vie extraordinaire. L’extraordinaire dans l’enfance se situait pour moi dans de vagues projets d’avenir « strass et paillettes » qui pourraient se résumer à mon souhait de devenir comédienne de cinéma, animatrice radio ou de vivre la vie de mes personnages préférés de romans. Il est certain qu’à cette époque, je n’avais pas appris à voir le beau autour de moi, ni à faire fructifier les microjoies, ni à saisir le fabuleux dans l’infiniment petit, encore moins à voir l’extraordinaire dans l’ordinaire, un sport extrême que je maîtrise de mieux en mieux. 

À l’aube de ma vie d’adulte, les pieds coincés dans la génération X, mais l’esprit définitivement tourné vers la génération Y (je suis née en 1980, à la croisée des chemins), j’ai poursuivi cette quête d’extraordinaire en voyageant dans les capitales européennes et en Afrique de l’Ouest grâce à de fascinantes études en anthropologie sociale et culturelle. Je rêvais aussi de faire un voyage en Transsibérien, ce train qui traverse la Russie de Moscou à Vladivostok en 6 jours. C’est pour moi le summum de la retraite contemplative, le refuge des solitudes créatives. J’en rêve toujours. Mais c’est la sphère culturelle qui a le plus souvent mis de l’extraordinaire dans ma vie.

L’art est un vecteur de voyages insolites et infinis qui offre de découvrir des mondes réels ou imaginaires et même de se connecter à un univers plus grand que soi. 

Ma mère ne le sait peut-être pas, mais elle m’a fait un des plus beaux cadeaux de mon enfance en prenant de son temps pour m’emmener régulièrement à la bibliothèque publique de notre petite ville où j’allais emprunter de nombreux livres, alors qu’il n’y en avait pas vraiment chez nous. Depuis ce moment jusqu’à aujourd’hui, je ne cesse de voyager avec les livres. Lire est un de mes hobbies préférés pour la relaxation, la connaissance et l’évasion que cela permet.

Il y a un peu plus de trois ans, je déménageais de l’autre côté de l’océan Atlantique. J’ai vendu tous mes meubles et autres objets habitant mon intérieur parisien; tout sauf mes livres qui ont fait le voyage jusqu’ici au Québec. Il y a un peu de moi dans chacun des ouvrages lus. « Ma bibliothèque est une autobiographie », disait l’écrivain Alberto Manguel. Ma bibliothèque est aussi mon trésor, mon refuge, mon jardin secret, mon jardin d’éden, mon jardin tropical…

La certitude de possibilités infinies

Il y eut également cette enseignante de français qui, quand nous avions environ douze ans, avait eu le courage et l’audace de nous présenter le théâtre de l’absurde. Je suis tombée amoureuse de Rhinocéros de Ionesco. Je n’avais jamais lu de théâtre auparavant et j’ai eu un coup de coeur pour cette pièce, cette métaphore suprême des systèmes totalitaires et de la bêtise du conformisme. J’ai eu une impression d’y voir plus clair tout d’un coup. Je salue l’engagement de ces enseignants passeurs de connaissance, de ces pyrotechniciens de l’enfance qui sèment de quoi étayer notre vie adulte.

J’ai aussi découvert des univers hallucinants en suivant mes amis dans un cinéma d’art et d’essai au début de mes études universitaires. Je me souviens notamment de L’été de Kikujiro de Takeshi Kitano (en version originale japonaise sous-titrée) comme d’une rencontre marquante avec une oeuvre. Quand tout ce que tu connais se résume aux films à l’affiche d’un petit cinéma de province, l’onde de choc positive se répand longuement et tu prends alors la mesure de tout ce qu’il te reste à explorer. La certitude de possibilités infinies de découvertes m’exaltait.

Dotée d’une curiosité naïve et donc sans limites, j’ai aussi pris un abonnement de théâtre, toute seule, pour découvrir et voir ce qui se tramait sur ces scènes-là, alors que je n’avais presque jamais vu de pièces auparavant. Je me souviens fortement de Brecht et de La noce chez les petits-bourgeois, probablement parce que ce travail faisait écho à mon degré élevé de politisation et de critique sociale à ce moment-là. 

Tsunami intellectuel

Après mes études en anthropologie, j’ai décidé de poursuivre en maîtrise de développement de projets culturels. À cette occasion, j’ai eu à faire un stage au sein d’une structure culturelle. Mon choix s’est tourné vers un festival de danse contemporaine en Corse, un peu par hasard. Je n’avais jamais vu de danse contemporaine auparavant. J’ai vécu un tsunami intellectuel et sensoriel dont je vais me souvenir toute ma vie avec Quando l’uomo principale è una donna, un solo du chorégraphe flamand de renommée internationale, Jan Fabre, qui était présenté à Ajaccio. Je découvrais la puissance évocatrice du corps, la virtuosité, la force du mouvement bien au-delà du verbe, la liberté du créateur, la force de l’interprète…

Il y a quelque temps, ici à Québec, dans la même semaine, j’ai visité une « shop à bulles » (un atelier d’auteurs de bandes dessinées) dans une maison de la littérature époustouflante, j’ai assisté à un tournage d’un road-movie et fait un party de cuisine avec la gang d’un film d’anticipation. Autant d’univers de création qui me fascinent. Aujourd’hui, je travaille en danse contemporaine (tiens, tiens!) et cela fait plus de dix ans que je suis impliquée professionnellement dans le milieu culturel. Il est là mon extraordinaire. 

Elle se situe ici la vie de rêve que je souhaitais dans mon enfance, dans cet engagement de faire plus et mieux rayonner les arts auprès de tous, d’irradier la société de séismes culturels avec une forte magnitude émotiveLes arts et la créativité contribuent à l’avènement de citoyens éclairés et d’êtres curieux et émerveillés, c’est pourquoi je suis une militante des imaginaires débridés. Je sais que la liberté la plus précieuse se cache à leurs confins.