Dessiner son avenir : Estelle Bachelard l’a fait
Estelle Bachelard est une illustratrice et bédéiste bien campée au Québec. Connue sous le nom de Bach, elle s’est d’abord fait connaître grâce à ses illustrations sur sa page Facebook. Aujourd’hui, elle signe les illustrations de nombreux livres, et est l’auteure de deux tomes de «C’est pas facile d’être une fille», dans lesquels elle partage les petits plaisirs et les grandes questions du quotidien… ainsi que son amour pour les chaussures! On la retrouvera prochainement au Festival de BD francophone de Québec, où elle sera invitée d’honneur.
La petite histoire de Bach
Du plus loin qu’elle se souvienne, Estelle a toujours adoré dessiner. « Il y a chez mes parents des vestiges de mes dessins sous les meubles. Dès que je trouvais un crayon et une surface vierge, je devais la mettre à mon goût. Le dessous du comptoir, mes bras, les plans d’architecture de mon père, et j’en passe. C’était plus fort que moi. Et vous savez quoi? Je suis exactement comme ça encore aujourd’hui.» Si elle s’est tournée vers la bande dessinée, ce n’est pas un hasard : c’est avec elle que BACH a appris à lire. «Toutes les semaines, mes parents nous emmenaient, mes frères et moi, à la bibliothèque et on rapportait des dizaines de bandes dessinées.»
Au fil du temps, sa passion pour le 9e art n’a pas cessé de grandir. Illustrer et raconter des histoires, c’est ce qu’elle voulait faire dans la vie. Le chemin pour y arriver? Beaucoup de travail, bien entendu, des études dans le domaine, et un stage qui aura été très marquant. Pendant ses études en graphisme au cégep, la jeune femme avait planifié faire ses études universitaires à Gatineau, au baccalauréat en bande dessinée. «J’ai fait un DEC en graphisme au cégep de Sainte-Foy parce que, pour être honnête, c’était le cours qui était le plus près de l’illustration. Au Québec, on a pas vraiment de diplôme précis pour ça. J’ai rencontré là-bas des amis et des collègues qui sont toujours près de moi aujourd’hui. J’ai rencontré des enseignants qui ont changé ma vision du métier.»
La vie faisant ce qu’elle fait de mieux, les plans de la jeune femme changent : elle obtient, à la fin du cégep, un stage chez Frima Studio, où elle travailla durant 5 années. Et la vie continuant d’apporter ses surprises, c’est un concours de circonstances qui l’a finalement amenée à se lancer à son compte. Dû au contexte économique, Estelle perd son emploi. «Avec du recul, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Je suis illustratrice et auteure de bande dessinée à mon compte, et je n’ai jamais été aussi heureuse.»
Quelques fois, le hasard fait bien les choses. Mais il ne faut jamais avoir peur de tracer son chemin.
Qu’est-ce qui t’a amené à faire ton « move »?
Ça faisait quelques années que je travaillais dans le domaine du jeu vidéo quand j’ai commencé à vouloir travailler à mon compte. C’est quand même un méchant «move» à faire! C’est angoissant de quitter un emploi stable et de partir dans un domaine incertain. J’ai donc continué à travailler à temps plein, tout en faisant des contrats et des projets personnels le soir et la fin de semaine, le temps que je sois prête. J’aimais bien le jeu vidéo, mais en cinq ans, il n’y avait rien que je pouvais mettre dans mon portfolio et je manquais un peu de motivation et de challenge. J’avais envie de développer mon propre style et de me sentir fière de ce que je faisais. Je commençais à me sentir prête à partir de mes propres ailes, lorsque l’entreprise où je travaillais a coupé plusieurs postes, dont le mien. Sur le coup ça a été dur, mais dans la vie, rien n’arrive pour rien, et il faut apprendre à voir le positif. Ça a été la meilleure chose pour moi. C’était le coup de pied dont j’avais besoin pour me réaliser.
Quels étaient tes freins ou tes peurs?
Ce qui m’empêchait de partir à mon compte ou de sortir mon premier livre, était un peu comme la peur du vide. Je comparais ça à se jeter en bas d’une falaise sans parachute. C’était vraiment mon sentiment. On se met à nu et on montre les dessins et ce qu’on est capable de faire au monde entier, avec tout ce que ça implique. Il va falloir faire face aux critiques, aux mois sans salaire, aux recherches de contrats, aller se vendre… Je dis ça, mais aujourd’hui, je ne reculerais pour rien au monde. Je suis tellement fière de mon choix et c’était le meilleur que je pouvais prendre!
Il y a aussi le syndrome de l’imposteur qui est très présent chez moi. Ce sentiment, je l’ai à chaque fois que je réussis quelque chose, à chaque fois que j’ai un nouveau contrat, lorsqu’on me félicite ou que j’obtiens quelque chose de génial pour ma profession (une bourse, une résidence ou un voyage pour un festival à l’extérieur par exemple). C’est vraiment désagréable et chaque jour je me bats contre ça. C’est un frein malsain selon moi. Parfois, quand je réussis, j’ai presque envie de me cacher sous ma table. En fait, c’est la honte de réussir.
On se pose plein de questions : Pourquoi moi? Pourquoi je réussis dans ce domaine et d’autres non? Est-ce que je le mérite? Heureusement, je suis bien entourée et les gens me rassurent. C’est pas évident de se dire qu’on le mérite parce qu’on travaille fort. Mais je travaille beaucoup là-dessus, parce que j’ai envie de me sentir forte et fière de moi. J’ai le droit de réussir, et j’ai le droit de me sentir bien là-dedans.
Qu’est-ce qui t’as inspirée à créer la vie dont tu rêves?
J’ai grandi avec un père qui avait son bureau à la maison. Il était travailleur autonome et faisait vivre une famille de cinq enfants. Donc pour moi, vivre avec un métier que j’aime tout en étant pigiste était tout à fait accessible. Lorsque je suis partie à mon compte, mes parents n’étaient pas du tout inquiets, parce qu’il avaient toujours vécu ainsi. Quelle chance d’avoir des parents qui nous supportent!
La BD et le dessin ont toujours fait partie de ma vie. Je souhaitais de tout coeur pouvoir rencontrer mes auteurs favoris et faire partie de ce milieu qui, pour moi, était un rêve. J’ai toujours dessiné, mais je m’assoyais un peu sur mon talent en me disant que les contrats arriveraient tout seul et que tout serait facile pour moi. Puis avant la fin de mon cours, une enseignante en illustration m’a dit : «Tu sais quoi? Tu es une paresseuse…bourrée de talent.» Ça a l’air nono, mais cette phrase, je me la répète régulièrement. C’est fou comment des petites phrases ou des rencontres dans nos vies peuvent nous faire changer. Tous les jours, j’essaie de me surpasser et de lui prouver le contraire. Ça me pousse toujours à aller plus loin et ça me motive.
Est-ce que c’est comme tu te l’étais imaginé?
Ma vie est exactement comme je la voulais. Elle est même mieux. Si j’avais su que mes idoles deviendraient des collègues et des amis! Je suis tellement chanceuse! Je repense à la mini-moi, quand j’étais petite, et c’est vraiment la vie dont je rêvais. Je lisais déjà beaucoup de bandes dessinées et j’adorais déjà plusieurs illustrateurs quand j’étais enfant. Je voulais être illustratrice, travailler sur mes projets, bien gagner ma vie avec ma passion, avoir un bel appartement créatif, des activités variées et surtout une vie inspirante! Tous les jours, je me répète que je suis chanceuse et que je dois apprécier tous les petits détails. Le bonheur est dans les petites choses! Être reconnaissant, ça aide à apprécier la vie de tous les jours.
Quels sont tes défis à venir?
Cette année je me suis fixé l’objectif d’apprendre à dire non. Ça peut sembler simple pour certaines personnes, mais dans mon cas, c’est difficile. Je suis une personne très motivée et positive, qui est toujours prête à aider ou à avoir de nouveaux défis. Je crois que c’est un des problèmes, lorsqu’on gagne notre vie avec notre passion… on veut tout faire!
Estelle Bachelard est de ces personnes inspirantes qui nous prouvent qu’avec beaucoup de travail et de confiance en ses projets, les portes de la réussite ne sont jamais bien loin.