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La créativité n’est pas une marque de jeans

Que ce soit clair. Je n’ai pas la définition ultime et vulgarisatrice de ce qu’est exactement la créativité. Pour moi, c’est comme n’importe quel art dont l’appréciation reste très subjective, chacun son point de vue sur la chose. Ceci est le mien.

Prologue

«Bon, un autre spécialiste des tendances qui veux se faire une place sur le piédestal des gens aux lunettes rondes» vous direz-vous. «Peut-être que oui, peut-être que non» vous répondrai-je.

Cependant, sachez que ce texte vient du cœur, des tripes, de différentes observations et sensations. Son titre, par contre, est on ne peut plus révélateur selon moi. Il fait référence au livre «La liberté n’est pas une marque de yogourt» du regretté réalisateur Pierre Falardeau (que je n’ai pas lu en passant, mais dont le titre est si «inspirant»). J’admire ce dernier pour plusieurs raisons, mais surtout pour cet aspect authentique, vrai, qu’il a su préserver malgré l’incessante influence du milieu dans lequel il naviguait. Un créateur, un authentique, un homme de tripes. J’ai la chance et le privilège d’avoir dans mon entourage quelques personnes comme lui, des hommes et des femmes qui ont décidé que peu importe le bruit ambiant des tendances, ils se construiront un petit bastion, les isolant du son de la mode, et suivront leur petite voix intérieure qui, parfois si discrète, sait toujours indiquer la bonne voie.

Le doux son des «trends» 

Depuis un bon nombre d’années, la créativité, l’inspiration, l’artiste sont «à la mode». Pas dans le sens le plus profond de ces termes, mais en surface, une question de «look», d’attitude, d’être, de paraître. Je n’ose pas prétendre ici être l’exemple à suivre, être authentique, être vrai et toujours écouter ma petite voix intérieure. Au contraire, je suis en constant questionnement de tout autour de moi. J’aimerais tant me rattacher à quelque chose de concret et vous dire que je sais exactement où je m’en vais dans la vie et ce que je fais, mais ce serait vous mentir. Je suis moi aussi, parfois abasourdi par le tonnerre incessant des images par lesquelles on se fait bombarder.

«T’es qui toi?» 

Puisqu’on aborde le sujet, je vais vous parler très brièvement de moi. J’ai 36 ans, je suis né à Moscou et j’ai grandi entre deux magnifiques pays qui se partageaient ma garde, la Russie et l’Algérie. À l’âge de 11 ans, avec mes parents, on s’installe en Russie. À 17 ans, je quitte pour la France pour les études et à 20 ans, j’immigre dans ce beau pays qu’est le Québec, ou le Canada, comme vous préférez. Je fais mes premières études universitaires en mathématiques et puis en administration, qui ne sont pas concluantes. Une fois au Québec (plus précisément à Chicoutimi), changement de cap, je m’oriente vers les arts.

Je m’étais alors dit, ça semble facile et pas très demandant (l’idée reçue numéro 1 sur les arts et la créativité en général). 16 ans après cette décision, je suis encore dans le milieu des arts et de la culture, je varie les métiers («faudrait que tu te décides ce que tu veux vraiment!» me disent certains. «Pourquoi?» je demande. «Tu ne peux pas faire 3 métiers en même temps.» Une autre idée reçue que je déplore. Vous lirez sur les «multipotentialites»). Je suis dans l’image figurative narrative, en mouvement et en suspens, que je réponds parfois. Je suis réalisateur (cinéma et vidéo), je suis photographe, je suis monteur, je suis producteur et j’ai pratiqué au moins 5-6 autres professions dans le domaine ces dernières années. En gros, j’aime raconter des histoires et rencontrer des gens.

La souffrance n’est pas dans le grand latté 

Retournons à cette fameuse «créativité». On a cette image de la créativité qui est toute blanche et  «fluffy». On a cette idée reçue qu’il suffit d’un beau petit bureau Pinterest rétro vintage, d’une tasse de café latté ou d’un chai, d’un air frivole sur le visage, regard au loin cherchant la vérité et d’un MacBook pour que la créativité coure vers nous! Comme si c’était une sorte de poisson à attraper qui vient seulement à un certain type d’appât. Je vous laisse aller faire un tour sur Google et taper «les grands artistes». Prenez un moment pour les imaginer dans la situation ci-dessus. 

La créativité n’est pas une bête qu’il faut apprivoiser, ce n’est pas un bouton sur lequel on appuie pour que les idées originales nous transpercent tout d’un coup. Ce n’est pas non plus une marque de vêtement, la créativité n’est pas une zone de confort, elle n’est pas une piscine d’eau à la bonne température qui est là quand on en a besoin.

La créativité, c’est entre autres la souffrance et l’incertitude, la créativité c’est les abysses de la pensée individuelle et collective, la créativité c’est le vide, la créativité c’est le sacrifice, la créativité est un état d’âme, un état d’être, une fois tout cela derrière nous et une fois que nous avons franchi tout ces obstacles, la créativité nous offre ce qu’elle a de plus beau, de plus merveilleux dans ce monde, une idée originale, une pensée futile qui selon nous peut changer le monde.

L’amour toujours 

J’ai envie de tracer un parallèle avec l’idée contemporaine que certains se font d’un couple, cette idée du bonheur interminable qui dure pendant 50 ans. On se met en couple, tout va bien, la passion est là et tout d’un coup il y a un conflit, on n’est pas heureux le temps d’une journée, on se dit que ce n’est pas la bonne personne, ni la bonne relation, ni la bonne situation, conflit de valeurs, pas de sortie possible. Ça ne sert à rien de continuer, ça ne marchera pas et on se sépare.

Je ne crois pas que ce soit juste. Je ne crois pas que c’est comme ça que ça marche. Le bonheur, il faut le mériter, il n’est pas à cueillir comme bon nous semble, il ne «traine» pas là en attendant qu’on passe pour le prendre. Dans n’importe quel livre de mycologie, vous allez voir que les champignons qui goûtent le mieux sont souvent les plus durs à trouver. Ça ne peut pas être facile. Le facile a un gout «moyen». Si vous souhaitez vraiment atteindre les sommets de la créativité, résignez-vous à la souffrance et au sacrifice dans leur sens le plus colossal et grandiose.

C’est presque fini  

Encore une fois, je ne prétends pas détenir la vérité infuse, ce n’est que mon avis sur la chose. Il se peut que dans 2 semaines, je remette en question tout ce qu’il y a ici et que mon idée change sur la chose aussi. Je crois cependant en une chose et c’est cette authenticité qu’on essaye sans cesse de nous vendre comme une marque de vêtement. «Les valeurs humaines sont à la mode» qu’on m’a déjà dit… Mais dans quelle époque vivons-nous pour nous dire ça? Une époque où la créativité, l’amour, l’inspiration, l’authenticité sont toutes des marques qui se font concurrence malgré une harmonie possible.

Le soir, en vous couchant, vous pensez à quoi? Au passé, au présent ou à l’avenir? 

P.S. Ce texte a été écrit en partie derrière un bureau au style très «Pinterest» ainsi que dans un café huppé, accompagné d’un latté. Parfois, je me dis n’être qu’une caricature de moi-même. 

Crédits photo (de gauche à droite) : Elias Djemil, Élise Rousseau, Élise Rousseau

Collage : Elisabeth Rancourt