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Chronique d’une funambule

Un jour, tout change. On se réveille, on ouvre un oeil, puis l’autre et on ne voit plus les choses de la même façon. La raison? Un événement, des événements, petits ou grands, une succession de vagues qui provoquent un raz de marée d’une ampleur inconcevable. Impensable, inimaginable, invraisemblable. Insurmontable? Dans un premier temps, oui. Un énorme oui, gros comme l’univers, façon big bang. Tout est une question de temps. Après la douleur vient l’incompréhension. L’injustice, la colère et la tristesse. Un cycle émotionnel qui tourne en boucle, des mois durant, des années peut-être, au ralenti ou en avance rapide, tout dépend des éléments. Le vertige et la nausée sont de la partie, les larmes, elles, coulent à flots, sont à sec. Vent, accalmie ou tempête, aucune prévision n’est malheureusement à l’horizon.

Un choix

Lorsque tout s’effondre, lorsqu’un trou noir vous engloutit, une seule décision est possible. Se débattre jusqu’à l’épuisement, ou accepter l’inacceptable pour économiser ses forces. Un choix : mourir ou vivre. L’instinct de survie m’a indéniablement fait pencher vers la deuxième offre. Vivre, donc. Se relever. Respirer. Serrer les dents. Boiter indéfiniment.

Entre courbatures, bleus et cicatrices

Le processus de reconstruction ne se fait pas en un jour. Entre vous et moi, je ne sais même pas encore exactement où je me trouve, mais j’y suis, j’avance, je patauge, dans l’incertitude, sur un fil, en équilibre. Le syndrome post-traumatique, plus particulièrement le syndrome subjectif des traumatisés crâniens, et le deuil ne sont pas des minces affaires. Cumuler les deux l’est encore moins. On dit pourtant que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit…Frappée deux fois, directement, en plein coeur. Deux éclairs à quelques jours d’intervalles, c’est la faute à pas de chance. Deux orages, deux ouragans, distincts et indissociables. L’un menaçait depuis quelques années, l’autre m’est tombé dessus sans prévenir. Tout un chacun est amené à traverser des épreuves, la vie est ainsi faite.

Le parcours vers la résilience est chaotique. Les dommages collatéraux sont inévitables. Quand on se perd, lorsqu’on se cherche, les écueils sont nombreux et les bleus ne se comptent plus. Il faut jongler avec les émotions, apprendre à retenir son souffle en pleine tourmente, vivre avec une sensation de vide omniprésente et apprivoiser ses peurs. On se voit affublé de nouvelles étiquettes, celle de miraculé, celle du blessé de l’âme comme on dit dans le jargon, sans avoir souscrit les options.

Miraculée. Un joli mot, synonyme de chance. Ah, la chance. Quelle chance. Une fois collée cette étiquette ne vous en accorde pourtant pas beaucoup de chance, aucune même pour certains. Pas le droit de flancher. Pas le droit d’être désorientée. Comme si la chance pouvait effacer la douleur et la trouille, celles qui terrassent et clouent sur place. Blessé de l’âme, vous connaissez?

En chantier

Se reconstruire, un grand projet. Un grand chantier. Par où commencer? Par quoi commencer? Raser les murs, peut-être. Déblayer les gravats. Essuyer les plâtres. Aspirer la poussière. Assainir le terrain. Faire des tas de ce qui est en ruine. Trier. Garder le bon, se débarrasser du mauvais ou de l’insignifiant. Prendre du recul. Imaginer de nouvelles fondations. Voir grand, beau, léger. Rêver. Rêver, il n’y a que ça de mieux. Avoir la tête sur la lune n’empêche pas d’avoir les pieds sur terre. Ça peut même être salvateur, confidence pour confidence.

Le tunnel semble interminable. Et puis un jour, en jetant un oeil dans le rétroviseur, on s’aperçoit que les kilomètres parcourus jusque là n’étaient pas vains, l’obscurité se transforme en pénombre, la lueur du jour commence à poindre. Les doutes jalonnent encore le pavé, bien sûr. Comme cette envie de tout déballer, pas sûre qu’elle soit bien reçue, ni perçue. S’épancher ou déverser ses malheurs est une chose, partager ses expériences pour se reconnecter avec soi-même en est une autre.

Se reconnecter, ou se retrouver, c’est le fil rouge. Ce n’est que douze mois après que j’arrive à remplir ces lignes de manière raisonnée. Moins confuse en tout cas. Douze mois. Un an. 365 jours. Il y a des dates qui résonnent, des chiffres, des fêtes, un déclic. Des déclics? Des déclics, quand on y pense, il y en a toujours, mais quand on a la tête dure – rappelez-vous, miraculée – on attend toujours celui qui ne viendra pas. Alors, à un moment, sans prendre le temps de regarder à gauche et à droite avant de traverser, on se lance. Je me lance, je saute. Je balance tout. Presque tout.

Un autre regard

Le reflet dans le miroir ne fait plus si peur que ça. Ce n’est pas beau à voir tous les jours, il y a souvent de gros nuages noirs, mais c’est moins flou et ce qui se dessine donne une image particulière. Étrange, singulière. Une image ou une histoire. Un regard. Un clin d’oeil, on se comprend. Les fractures se consolident, la tristesse devient familière et rassurante, dans un sens. Comme un guide. Comme un fil. Un lien. Une certitude que l’oubli est impossible. Un équilibre qui peut être brisé à tout moment, qui se rompt régulièrement. La mémoire joue parfois de méchants tours. J’apprends encore.

Une solitude partagée

Et puis, sur cette route, de chaque côté, il y a des présences qui accompagnent. On les traîne, on s’entraîne, on les porte, on se supporte. On les bouscule, elles nous poussent, on se rapproche, on se soutient. Un geste, une parole. Ça fait son chemin. Il y a les lectures, aussi. Beaucoup. Des présences, toujours. Un refuge, un besoin. D’apprendre, de comprendre. D’aller plus loin, de renouer avec les anciens. De s’identifier aux nouveaux. D’entendre les autres. Pour se ressourcer. Pour s’apaiser. Pour que le sol arrête de trembler. Pour prendre un peu de hauteur. Pour changer de vue. D’angle. Pour trouver sa voie. Sa voix. Il paraît que «tous les chagrins sont supportables si l’on en fait un récit». Va pour l’écriture alors, ça tombe même plutôt bien. Chacun son truc.

Vers la résilience

La résilience, finalement, c’est un peu comme un pacte. On lit les conditions, et si on signe, on s’engage. À ne plus chercher de raisons. À arrêter de se justifier, de culpabiliser. À accepter de se tromper, se planter. À reprendre confiance. À se laisser aller. À faire fourmiller les idées. À essayer, tenter. À ouvrir des portes, quitte à les enfoncer ou les voir se refermer, même pas peur. À vivre, différemment. Version 2.0.