Le jour où je me suis choisie
« Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. » – Confucius
Je l’ai fait. J’ai fait le grand saut. L’immense pas. Se lancer dans le vide. J’ai quitté mon emploi.
Une démission, c’est probablement une des choses les plus difficiles à faire. Dois-je le faire? Est-ce un grand risque? Que vais-je perdre? Est-ce que je fais la bonne chose? Quitter un emploi qui ne nous convient pas : huit personnes sur dix en rêvent. Combien d’entre eux oseront le faire ?
Il y a quelques mois, je croyais avoir obtenu la job de rêve. La permanence, les bonnes conditions, le salaire, le beau bureau, le statut, la carte d’affaires. Le sentiment de fierté. Parce qu’on ne le dira jamais assez : on se valorise avec notre profession.
Dans une société où prône la valorisation de notre statut social, où notre poste actuel est tout ce qui compte, où notre seule façon de nous démarquer c’est par notre travail, il est difficile de se forger une place parmi les heureux. Avoir un bon poste, est-ce gage d’un bonheur éternel? Qui peut se vanter d’être heureux quotidiennement dans son emploi?
Un chèque de paie, des assurances dentaires et un super Mac de l’année ne rendent pas heureux. Très rapidement, on réalise que ces avantages ne nous conduisent pas au bonheur. C’est de la poudre aux yeux lors de l’embauche. C’est un bonus. Un gros plus. Mais qu’est-ce qui est vraiment important au fond? Qu’est-ce qui fait qu’on a envie de se lever tous les matins pour aller travailler? Quelle est la motivation première? Sa paie dans le compte en banque, vraiment?
Après plusieurs expériences de travail, j’ai finalement mis le doigt sur le problème. Je-ne-fais-pas-ce-que-j’aime-vraiment. Mes compétences, mes forces ne sont pas exploitées à leur plein potentiel. Ça me tue à petit feu. Ça prend du temps pour s’en rendre compte.
Avoir le sentiment qu’on est à la bonne place et qu’on utilise complètement nos forces, ça c’est du vrai salaire. Se sentir valorisé, apprécié et avoir l’impression d’accomplir quelque chose d’extraordinaire. Vivre de sa passion. Sans ce sentiment, rien n’est possible. Rien ne peut être aussi puissant que ça. C’est le seul moteur.
Je peux encore affirmer que j’avais un super poste. Des bons collègues. Des patrons compréhensifs et humains. Un horaire stable. Pas de pression. Un domaine que j’aime. Me rendre à pied à mon travail. Des bonnes conditions. Pour de vrai, tous les éléments étaient réunis pour que je puisse rester là-bas jusqu’à la fin des temps. Seule ombre au tableau : je m’emmerde. Profondément. Je m’ennuie à la journée longue. J’ai le sentiment de refaire la même journée jour après jour. Pas de défis. Pas d’émerveillements. Pas de projets stimulants. Rien qui me passionne.
La fameuse tranche d’heures 9 à 5 me rend complètement dingue. Je deviens une zombie vivante. Mon corps est dans le bureau et ma tête rêve. Rêve de voyager, d’explorer, de vivre. J’ai l’impression que ma vie passe à côté de moi. Par ma belle grande fenêtre ensoleillée. Je la regarde passer. Je ne peux pas bouger. Je ne peux rien faire. Je suis prise dans mon beau bureau entre 9h et 17h. Je me sens prisonnière. Dans une belle prison. Une cage dorée avec du velours.
Suis-je exigeante? Est-ce que j’en demande trop ? Est-ce que je me plains le ventre plein ?
Je suis consciente de tout ce que je possède. J’ai un emploi qui me permet de me loger et de me nourrir. La question est : doit-on subir une situation qui nous rend malheureux? J’ai longuement songé à ma situation. Suis-je trop individualiste? Pourquoi je regarde continuellement mon nombril? Mais j’ai compris.
J’ai compris qu’il faut être d’abord bien dans sa tête. Dans son coeur. Dans son corps. Dans sa vie. Pour ensuite pouvoir être bien avec les autres. Il faut être en mesure de s’écouter, de s’aimer et de se respecter assez pour ne pas subir des situations qui nous rendent malheureux. Choisir d’être bien dans sa vie n’est pas un luxe. C’est une décision que l’on prend au risque de décevoir. C’est souvent un choix risqué, mais est-ce que ce choix va réellement mettre notre vie en danger? Bien souvent en faisant les pour et les contre, le choix devient clair. Il devient même inévitable.
Mon choix est devenu réel. J’ai fait le grand saut. J’ai finalement quitté mon emploi.
Deux ans plus tard, je relis ces mots que j’ai écris sans les avoir publiés. Je revis ce moment avec lucidité et surtout sans regret, car j’ai maintenant une situation professionnelle qui me comble. Je me suis écoutée. Je me suis choisie.
Et vous?
Illustration : Myriam Des Cormiers