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Au pays de l’éphémère, soyons réalistes, exigeons l’impossible!

Éphémère, définition : qui n’a qu’une courte durée

L’éphémère est souvent négatif dans la langue, on lui attribue les synonymes suivants: fugace, sans lendemain, sans avenir, précaire. Et si les occasions, les projets, les temporalités ou les lieux éphémères étaient une chance de se réinventer?

Lors de mon dernier séjour à Paris, une amie a proposé qu’on aille bruncher aux Grands Voisins, un lieu dont je n’avais jamais entendu parler et pour cause : il est éphémère. Il est né il y a peu et sa durée de vie est limitée. Le projet des Grands Voisins prend place dans un ancien hôpital de Paris que la ville a totalement désaffecté avant de reconstruire 600 logements sociaux dans un éco-quartier en 2017. Dans cet intermède spatio-temporel, on trouve de l’hébergement social pour des migrants, une pépinière de jeunes entreprises, des missions de réinsertion économique et sociale, des associations écologiques, artistiques, scientifiques, des ateliers d’art-thérapie, des start-ups, une cantine solidaire, un camping urbain, des espaces de coworking pour personnes sans emploi, une serre en aquaponie…etc. Un vaste espace profondément inspirant et ce, bien que ses jours soient comptés. 

Ce que j’ai aimé de ce tiers-lieu, c’est le rêve qu’il autorise, la fabrique des possibles qu’il met en branle. Il m’a semblé que l’impermanence affirmée devenait un facteur d’innovation sociale. 

«Seul l’éphémère dure » disait Eugène Ionesco!

L’art éphémère (performances uniques, contes de tradition orale, land art ou graffitis urbains se dégradant naturellement) permet de sentir la fragilité du moment et de la vie, d’en apprécier la profondeur. L’éphémère ne peut garder des traces tangibles ou encore marquer physiquement son environnement pour toujours. Mais il a le potentiel de marquer l’imaginaire durablement et c’est ici que se situe sa plus grande valeur.

Finalement, il s’agit de jouer avec le temps qui passe plutôt que de le subir. En faisant confiance à l’essence du vivant, on pérennise l’audace. «Avec le temps va, tout s’en va» disait le poète anarchiste. Oui, c’est vrai. Alors, n’accordons pas de place à l’apitoiement généralisé sur la finitude de choses. Cette réalité est plutôt une invitation et une raison de plus pour réaliser nos rêves les plus fous, illuminer les consciences, avoir un impact social et réenchanter le monde – avec des oeuvres fortes, avec des actes politiques d’intérêt général, avec des gestes inspirants pour demain ou pour d’autres générations, avec des actions positives se nichant dans les mémoires collectives pour longtemps!

L’éphémère est une source insoupçonnée de changements et d’opportunités. On l’ignore, car le mot subit une fronde lexicale entachée de résidus de morale chrétienne ne jurant que par l’éternité. Les révolutions sont éphémères, mais changent durablement le monde, ne l’oublions pas trop vite.

Échappons à l’illusion de l’éternité; insufflons notre énergie, nos valeurs et nos couleurs dans l’éphémère par la créativité, la mobilisation citoyenne et le courage politique. Chaque moment compte, chaque action y a sa place. L’éphémère compose le terreau fertile qui a le potentiel de faire grandir et s’épanouir nos plus intimes convictions, tout en nous invitant à les renouveler et aller toujours plus loin.

L’éphémère favorise l’expérimentation d’utopies et constitue alors la plus grande résistance à la vacuité et à l’insensé.