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Petite philosophie du bonheur et des recettes « magiques » pour l’atteindre

Combien existe-t-il de livres sur le bonheur? Combien y en a-t-il, de ces guides à être, de ces listes à cocher pour atteindre la paix intérieure et la joie? 

Du tout simple (voire simpliste) « sois toi-même » au plus spirituel « visualisez vos objectifs », les recettes pour être plus libres, plus heureux ou plus satisfaits abondent presque autant que les livres de cuisine sur les tablettes des librairies. La quête du bonheur est en voie de devenir une compétition : c’est à qui se sentira le plus zen, à qui mangera le plus sainement, et surtout à qui réussira le mieux à nous « vendre » son bonheur, à nous faire croire à son bonheur. La publicité, les médias et le milieu des communications ne sont pas étrangers à cette soif et, de fait, on nous vend de plus en plus l’idée que tel produit, telle attitude, tel magazine ou tel livre réussira à nous transformer, à faire de nous, éternelles chenilles, de glorieux et flamboyants papillons. 

Il y a au moins deux idées que je souhaite réfuter dans cette proposition : d’abord, le fait que le bonheur est une destination, un objectif à atteindre; ensuite, le fait qu’il existerait une manière presque instantanée de s’y rendre.

Le bonheur est une bouffée d’air, pas tout le vent

Percevoir le bonheur comme un but à atteindre comporte plusieurs risques, dont le plus important à mes yeux est qu’il nous fait attendre un moment, une sorte d’épiphanie où tout soudain tient en place et où le doute et l’angoisse n’existent plus. C’est la perfection de ce moment qu’on cherche à atteindre, et surtout son immortalité. On voudrait que le bonheur ne se termine plus : on angoisse à l’idée de le « perdre », on fige devant l’inconnu. En réalité, ce qui nous effraie, nous terrorise dans l’instabilité du bonheur, c’est qu’il nous rend vulnérables.

Mais le bonheur existe parce qu’il est éphémère! Il existe quand nous savons le reconnaître et le vivre. Quand nous savons être présents à lui. 

Le bonheur n’a pas à être évalué en fonction des bonheurs précédents ou à venir : il a simplement à être perçu, à être vécu. Vivre son bonheur, c’est d’abord accepter la vulnérabilité qu’il impose : être heureux, c’est reconnaître que ce sentiment ne sera pas éternel, qu’il a ses défauts, ses imperfections, mais l’accueillir pleinement quand même. En acceptant que le bonheur n’est pas un plateau à atteindre, mais plutôt une succession de petits moments, on est alors plus en mesure d’accueillir également les moments plus difficiles.

Dans son ouvrage De l’art du bonheur, l’auteur Christophe André propose l’idée que l’absence du bonheur n’est pas le malheur. Selon lui, il peut exister une autre étape entre bonheur et malheur, un crépuscule du bonheur où on accueille simplement le calme, la fin de la fête, sans animosité ni douleur. En acceptant que le bonheur est passager, on accepte du même coup qu’il va certainement revenir, qu’on aura la chance de le revivre.

La métamorphose, un processus

Dans Les métamorphoses, ouvrage classique de la littérature antique, la muse Daphné, poursuivie par le dieu Apollon, prie son père de la défaire de sa beauté afin qu’elle puisse préserver sa virginité et être protégé de l’amour incandescent du dieu qui la pourchasse. Elle est alors transformée en arbre, et ce passage d’un état à l’autre ne se fait pas sans douleur : elle observe, ébahie, son corps devenir arbre, son front s’élargir, les branches qui sortent de son corps et s’enracinent à la terre, son visage qui se fige…

S’il y a certainement un caractère instantané et magique à cette transformation, Ovide met aussi en évidence qu’elle n’est pas pour autant facile. Il y a de la douleur dans la métamorphose, et c’est ce que beaucoup de « recettes » oublient de préciser. La route vers le bien-être et la joie est parfois jonchée d’obstacles, voire d’épreuves. Pour atteindre ce but, il n’y a pas de formule rapide qui soit à 100% efficace : il faut s’investir, sacrifier certaines choses, et surtout, accueillir ce nouveau soi qui se dessine à l’horizon. Cela signifie accepter aussi que nous serons vulnérables, blessés, fragiles. Accepter que la métamorphose sera peut-être longue, pénible par moments, mais certainement nécessaire. Passer de chenille à papillon n’est pas aussi facile qu’on le pense. Il y a tout un travail intérieur qui doit se faire et surtout, il faut du temps. Il faut construire, ou comme le dit Danièle Henkel, écrire « sa propre recette », celle qui nous réussit à nous.