
Et si l’IA nous rendait plus humains?
La semaine dernière, j’ai eu le privilège de participer au panel « Repenser le développement personnel avec L’IA » aux-côtés de Patrick St-Hilaire de MosAi et de Suzie Dion de Beneva dans le cadre du congrès provincial Leadership au féminin.
Une heure dense, engagée, où la technologie n’était pas qu’un sujet d’avenir abstrait, mais bien une question profondément humaine, ancrée dans le présent.
Tout au long du congrès, on sentait cette question en trame de fond : comment nous distinguer de l’IA? Comment nous valoriser comme humains à travers cette révolution technologique? Comment en faire une utilisation éthique sur le plan organisationnel, mais aussi social?
Plus qu’un « assistant »
Oui, l’IA transforme nos façons de faire, accélère nos processus, automatise des tâches et nous pousse à revoir nos métiers, mais dans cette grande reconfiguration, ce sont nos compétences humaines (esprit critique, sens éthique, capacité à collaborer, à ressentir, à comprendre et à rassembler) qui deviennent les piliers les plus précieux. Ce sont elles qui nous distinguent, qui nous rassemblent et qui nous élèvent.
J’ai retenu du congrès un message fort : en tant que femmes, nous avons une place quand il est question de parler de l’IA. Car l’IA, ce n’est pas que données et technologies, c’est aussi gouvernance et gestion du changement. Nous devons donc nous intéresser et nous impliquer, ne serait-ce que pour rappeler l’importance d’exercer un leadership responsable et intentionnel face à son utilisation de plus en plus répandue.
Et c’est là le paradoxe fascinant : c’est en côtoyant la machine et en voulant s’y mesurer qu’on redécouvre notre nature et notre valeur intrinsèque comme humains.
On m’a demandé si l’IA allait nous forcer à développer nos compétences humaines.
Ma réponse : En tous les cas, ça semble être notre réflexe d’adaptation!
Esprit critique, sens éthique, l’IA nous amène à nous élever comme humains et à développer les compétences humaines qui nous distinguent de « la machine ». Ça nous amène à valoriser notre humanité! Et si on le valorise, on va le développer. Si vous aviez besoin d’un peu d’optimisme dans cette mouvance qu’est l’IA, le voilà!
On prédit d’ailleurs que certains métiers vont disparaître ou être moins demandés. Les métiers les moins touchés seront les métiers relationnels : policiers, travailleurs sociaux, enseignants, on pourrait donc voir une recrudescence de popularité de ces métiers et donc du développement des compétences humaines.
Cela dit, est-ce qu’on peut utiliser l’IA pour développer nos compétences humaines?
Ça peut sembler contre-intuitif, mais je pense que oui, jusqu’à un certain point. J’ai testé quelques applications et je sais que plusieurs conversent avec Chat GPT comme s’il était un thérapeute! Il est intéressant toutefois de constater que Chat GPT s’attribue à lui-même certaines limites. Par exemple, il avoue avoir un piètre sens du « timing », ne pas savoir si l’interlocuteur est prêt à recevoir un conseil, ne pas savoir quand pousser ou quand faire preuve de retenue. Il ne peut pas non plus répondre aux réaction non-verbales, a une tendance au réconfort plutôt qu’à la confrontation bienveillante et pourrait même renforcer certains comportements nuisibles sans s’en rendre compte!
Entre savoir et agir
J’ai également partagé la nuance suivante : converser avec l’IA, c’est bien pour faire un peu d’introspection, pour accéder à des connaissances théoriques ou à des conseils – et comme le disait Patrick, c’est parfois tout indiqué lorsque la personne ressent une certaine honte face à ce qu’elle vit et préfère parler à un robot plutôt qu’à un humain!
Ça peut être aidant lorsqu’on est très très motivé intrinsèquement – très autonome. Toutefois, l’usage des agents conversationnels et des outils individuels dans le confort de son intimité peuvent contribuer à isoler les personnes.
Sans un sentiment d’appartenance à un groupe pour nous donner l’élan de tester nos nouvelles connaissances, on pourrait tomber dans le piège d’accumuler de la connaissance, tout en « bloquant » au moment du passage à l’action.
IA ou non, c’est d’ailleurs un phénomène très répandu auquel De Saison s’attaque : cette tendance à cumuler de la connaissance individuellement, puis à repousser toujours à plus tard le moment de la mise en action, notamment en raison de la culture du groupe, d’un manque de sentiment de sécurité psychologique ou du fait qu’adopter de nouvelles habitudes, ça demande souvent du temps… et du soutien des pairs.
Quand on parle de développement personnel, celui-ci doit passer le test de la réalité. Pour réellement progresser, la notion de pratique avec d’autres humains, en groupes d’apprentissage ou dans le quotidien, est indissociable du développement des compétences humaines.
Distribuer des agents IA à tout le monde pourrait sembler une bonne idée, mais si la culture n’est pas travaillée, ça aura le même impact que toutes les autres initiatives individuelles, c’est à dire un impact presque nul.
C’est pourquoi il est important de penser le développement de l’humain sous l’angle du développement des groupes auxquels il appartient et pas que sous l’angle de l’individu lui-même. C’est d’ailleurs notre approche principale, chez De Saison.
On m’a ensuite demandé si l’IA entraînait des risques psychosociaux
L’IA mal encadrée, c’est un risque bien réel : surcharge cognitive, isolement, perte d’esprit critique, glissement vers un travail plus rapide, mais moins humain. Des e-mails générés par IA, des scripts sans nuance, une réduction des échanges authentiques. Et surtout, cette tendance inquiétante à penser moins parce que la réponse est toujours là, instantanée, générée pour nous.
C’est pourquoi il nous faut être intentionnels. Ce n’est pas une course à suivre aveuglément, mais un progrès à questionner lucidement.
Chez De Saison, on croit qu’on peut, et qu’on doit, impliquer tout le monde et grandir ensemble autour de ces enjeux. C’est l’approche préconisée dans nos stratégies de prévention des risques psychosociaux au travail, dans nos ateliers stratégiques ou d’innovation sociale au travail et dans nos autres projets de développement de compétences humaines – avec les gestionnaires ou les équipes.
Parce que oui, on peut utiliser l’IA pour se développer — mais on doit le faire ensemble. Rien ne remplace la pratique entre humains, le regard du collègue, l’écoute du coach, la complicité d’un groupe… et le sens que cela donne à notre progrès individuel.
S’élever comme humains face à l’IA
Je ne crois pas à une IA qui remplace l’humain. Je crois à une IA qui nous donne l’occasion de mieux nous connaître, de mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau, de nous questionner, de réfléchir à ce que l’on veut vraiment préserver, valoriser, cultiver dans nos organisation et dans la société en général.
Mais pour y arriver, il faut de la lucidité.
Alors, si vous voulez investir dans l’humain malgré (et grâce à) l’IA, commencez par créer de l’espace.
Un vrai. Où l’on parle de ce qu’on vit, de ce qu’on craint, de ce qu’on apprend.
Un espace pour réfléchir, cheminer, élaborer des balises, des permissions, des stratégies. Ensemble.
Et si on utilisait le temps gagné par l’IA… pour se donner ce temps-là ?
C’est là que se trouve l’opportunité qui vient avec le gain de productivité associée à l’IA.
Au lieu de nous demander de produire plus, développons notre résilience et élevons-nous.
Si vous investissez dans l’IA, investissez aussi dans l’humain. Vous ne le regretterez pas.
Et qu’avaient à dire mes co-panélistes?
Alors que Patrick parlait du processus éthique qui le guide dans le développement de son outil d’accompagnement IA en soutien à la santé psychologique au sein des organisations, Suzie, de Beneva, a démontré à quel point le rôle de la gouvernance est primordial dans une intégration humaine de l’IA en organisation, un modèle à suivre qui nous montre que c’est possible de prendre le temps de bien faire les choses.
Envie d’incarner ce leadership autour de l’intelligence artificielle? De développer les compétences humaines de votre équipe et/ou à mettre en place des espaces de récupération face à la montée de l’IA? Écrivez-moi!
Julie
Cofondatrice — De Saison