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Les gentils anonymes

Quand on est tout petit, dans notre classe de primaire, qu’on fait nos affaires comme il faut, qu’on écoute notre enseignant, qu’on est gentil avec les autres amis, il arrive qu’on passe inaperçu, ou du moins, que ce soit plus long avant que les gens connaissent notre nom.

Et on le nomme moins souvent, notre nom, sauf peut-être trois-quatre fois dans l’année scolaire, quand vient le temps de donner un collant à la personne qui respecte le mieux les consignes.

Par contre, le nom de la personne qui lance des effaces ou de celle qui n’arrête pas de parler quand ce n’est pas le temps, lui, on s’en souvient assez rapidement, au nombre de fois par jour où il se fait entendre haut et fort dans la classe, au gymnase, dans la cour d’école.

Bref, être gentil, c’est un bon moyen de rester anonyme, et ce, dès les premières années du primaire. 

Pourtant, ce ne serait pas bête de féliciter Sophie, Martin, Catherine et Jérémie au quotidien, simplement parce qu’ils font preuve de gentillesse. Ça vaut bien une minute de gloire plus que quatre fois en dix mois, non?

Selon mon expérience personnelle, le phénomène se poursuit au secondaire. Les « cools » de l’école ne sont toujours pas Sophie, Martin, Catherine et Jérémie. La tendance semble se maintenir à l’âge adulte. 

Au travail, la personne sur qui vous potinez après 17h, est-ce celle qui effectue ses tâches comme une championne ou plutôt celle qui passe son temps à faire tout, tout sauf ce qu’elle a à faire?

Au travail encore, focalisez-vous sur les 25 employés qui vous rendent la vie facile ou sur les deux autres qui vous donnent du fil à retordre?

Quand vous regardez les nouvelles, surtout de c’temps-là, entendez-vous souvent parler de Sophie, Martin, Catherine et Jérémie? Pas mal sûre que non (ou dites-moi, de grâce, quel poste vous syntonisez), parce qu’ils ont probablement passé leur journée à faire des choses ordinaires, à être polis avec les gens, à sourire, à dire merci, à rentrer à la maison et à se faire à souper. 

Quand ils vont mourir par contre, Sophie, Martin, Catherine et Jérémie auront peut-être la chance d’être dans le journal le dimanche, sans plus, et on dira d’elles que c’était des personnes gentilles, aimantes et serviables.  

Et si on leur disait plus souvent de leur vivant?

Si on parlait davantage de ce moment où Sophie a tenu la porte au vieux monsieur à l’épicerie, où Martin a cédé son siège à la femme enceinte, où Catherine a appelé sa grand-mère et où Jérémie a préparé un lunch à sa blonde, peut-être que ça rendrait le quotidien un peu plus léger et, mieux encore, peut-être que ça donnerait envie à d’autres de connaître la gloire en étant gentil et en faisant de bonnes actions?

Je comprends qu’il faut avoir une bonté à grande échelle, genre comme celle de Mère Teresa, pour attirer l’attention et se mériter un reportage aux nouvelles. Sinon, le bulletin de Patrice Roy n’en finirait plus de finir, parce que, bien heureusement, il y en a encore beaucoup des Sophie, Martin, Catherine et Jérémie. 

J’en ai croisés plusieurs aujourd’hui, et je sais que j’en croiserai d’autres demain, et après demain aussi, et le mois prochain, et ça, ça me redonne foi en l’humanité. 

Merci à vous, chers gentils anonymes. Je promets fort d’essayer de vous mettre plus souvent en prime time dans mes bulletins de nouvelles personnels de fin de soirée. Vous méritez bien ça.