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Le pouvoir de la diversité: l’histoire du bâtiment 20

De nos jours, on reconnaît – enfin – l’importance et la pertinence de la diversité dans tous les milieux. Cet enjeu d’actualité ne se résume pas à mélanger les genres, les cultures et les tranches d’âge, mais aussi les parcours, les points de vue, les personnalités et les spécialités. Les avantages qui en découlent sont nombreux, le plus notoire étant l’innovation. Trop beau pour être vrai?

Ce ne sont pas que des paroles en l’air: l’ouverture et l’inclusion multiplient le potentiel de n’importe quel groupe, et ce, de manière considérable. Pour appuyer la puissance de la pluralité, il n’y a pas d’exemple plus concret que le bâtiment 20, un foyer créatif multidisciplinaire qui a marqué le savoir du 20e siècle. 

Voici l’histoire d’un méli-mélo de connaissances ayant donné fruit à des prouesses intellectuelles majeures.

 

Un lieu au parcours inusité

Le bâtiment 20 était une extension temporaire du laboratoire de radiation du Massachusetts Institute of Technology. Elle a été érigée à la va-vite en 1943 afin de soutenir les alliés politiques dans la recherche sur le radar pour remporter la guerre. Pas l’temps d’niaiser: on n’a même pas pris la peine de lui donner un vrai nom. Puisque l’acier se faisait rare, le bois fut majoritairement utilisé pour la construction. Cette dernière s’est déroulée dans une telle urgence que la bâtisse n’était pas conforme au code de prévention des incendies. Comme elle n’était qu’éphémère (et fort utile pour gagner la Seconde Guerre mondiale), une exception à cette entrave fut accordée. 

 

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Ce large bâtiment était rudimentaire à plusieurs niveaux. Sa disposition intérieure portait à confusion de sorte qu’il était ardu de s’y retrouver. Ses fenêtres chambranlantes laissaient entrer les fuites alors que ses corridors sombres et humides dégageaient une « vieille odeur familière de moisi ».  La plomberie était visible: à quoi bon la cacher? L’été, le mercure y montait à un degré insupportable, voire suffocant; l’hiver, il baissait de sorte qu’on se croyait dans un réfrigérateur.

La structure « n’était pas reconnue pour son insonorisation » . On entendait souvent les discussions des espaces avoisinants. Lors de journées chaudes, les ventilateurs et climatiseurs de châssis bourdonnaient bruyamment en vain. Le son du plancher craquant sous chaque pas résonnait un peu partout. 

Mais peu importe, car on allait détruire le tout un coup la guerre terminée.

Cependant, l’institut a connu un afflux considérable d’étudiants dans la deuxième moitié des années quarante. Faute d’espace sur le campus, la démolition du bâtiment fut repoussée et on a continué de l’occuper en s’en servant un peu comme « fourre-tout ». 

Certains espaces ont été convertis en bureaux de professeurs, en laboratoires ou en ateliers d’usinage. Peu à peu, des recherches expérimentales, projets de toutes sortes et activités étudiantes ont animé la place. 

Un amalgame de champs d’études se sont retrouvés sous un même toit : physique, arts, électronique, psychologie, biologie, philosophie, chimie, musique, photographie, science nucléaire, anthropologie, linguistique, acoustique, informatique, rédaction…

Finalement, ce pavillon sans nom difficile à naviguer, mal éclairé, mal ventilé et mal isolé a abrité une foule de travaux aux résultats étonnants pendant pas moins de 55 ans (on ne l’a démoli qu’en 1998!). À l’intérieur de celui-ci sont nées des inventions importantes qui lui ont valu le surnom de « l’incubateur magique ». Parmi les scientifiques qui y ont travaillé, neuf ont reçu un prix Nobel. 

Qu’est-ce qui distinguait donc cette véritable usine à idées? Un mélange de diversité, d’inclusion et d’autonomie.

 

Un voisinage éclectique 

En 1988, le journaliste Alex Beam décrivait l’endroit comme « le type de melting pot académique qui donne une indigestion aux présidents d’université » . En effet, presque 4000 chercheurs et chercheuses œuvrant dans une vingtaine de disciplines se côtoyaient dans un même édifice, un phénomène assez inhabituel dans le monde universitaire où le travail en silo prône normalement. Beam mentionnait dans son article du Boston Globe:

Le célèbre linguiste et militant anti-guerre Noam Chomsky travaille à quelques portes des bureaux du ROTC (NDLR: une organisation militaire et scolaire américaine) du MIT, qui ont décoré un mur entier avec une peinture murale colorée d’un combattant F-16. L’installation de réparation de pianos du département de musique – une « zone sans ordinateur », selon un panneau accroché au mur – partage un étage avec l’atelier du laboratoire de science nucléaire. Le club de chemin de fer miniature, qui abrite le train jouet le plus sophistiqué au monde, est à deux pas du laboratoire de culture cellulaire du département de génie chimique.

Comme il n’y avait que trois étages répartis sur une grande superficie, une foule de départements se retrouvaient côte-à-côte. « Dans une disposition verticale avec de petits étages, il y a moins de variété de recherche à chaque étage. Les rencontres hasardeuses dans un ascenseur ont tendance à se terminer dans le hall, tandis que celles qui se produisent dans un couloir ont tendance à conduire à des discussions techniques » explique Henry Zimmerman, un professeur du MIT dont le bureau a été dans le bâtiment 20 pendant plusieurs années.

 

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Une autre particularité de la structure était sa disposition embêtante (n’oublions pas que sa construction s’est faite dans une hâte totale). Il était facile de se tromper de pièce ou de carrément se perdre, même pour les habitués. On pouvait aisément se retrouver au mauvais endroit, mais pas nécessairement au mauvais moment! Les égarements fréquents produisaient ainsi des conversations spontanées entre des individus aux spécialités bien distinctes. 

 

Terrain fertile pour les idées

La proximité physique entre une telle variété de domaines a donné lieu à des interactions interdépartementales qui n’auraient pas eu lieu autrement, ce qui a créé des liens entre des idées et des gens. La réputée théoricienne en urbanisme Jane Jacobs appelle ce phénomène des « débordements de connaissances » (knowledge spillovers), c’est-à-dire quand les savoirs transcendent les frontières des disciplines et s’inter-nourrissent.

Amar Bose en est un exemple vivant. Alors qu’il procrastinait à écrire sa dissertation doctorale, cet étudiant en génie électrique s’est mis à fréquenter le laboratoire d’acoustique qui se trouvait à l’autre bout du corridor de son département. Le sujet piquait sa curiosité, car il trouvait peu performants les systèmes de son de l’époque. Au fil de ses passages, son intérêt a grandi et il a éventuellement collaboré avec les ingénieurs d’acoustique pour créer une enceinte de 22 hauts-parleurs dont la forme innovatrice produisait un son de haute qualité. Le produit était si prometteur qu’Amar a fondé la compagnie Bose, aujourd’hui bien connue pour ses systèmes audio.

Cela n’est qu’une des réalisations produites dans cette bâtisse un peu « tout croche » au CV impressionnant. De multiples avancées d’envergure y tirent leur origine, comme la photographie à haute vitesse, le premier jeu vidéo digital, la physique du micro-ondes, les premiers systèmes de caméras et de sonars en haute mer, les débuts du hacking, le radar à antenne unique et la théorie moderne de la linguistique. On dirait bien que la diversité stimule l’innovation… ou même les prix Nobel dans ce cas-ci!

 

L’ouverture, un puissant levier

Le bâtiment 20 était un genre de safe space où on semblait pouvoir échapper au piège des étiquettes, bien présent dans le monde académique. Que ce soit lors de lunchs hebdomadaires, de projets collaboratifs, de fêtes étudiantes ou de rencontres dans le couloir, l’importance accordée aux titres et aux domaines était moindre; on se partageait des idées d’humain à humain. Ceux et celles qui l’ont vécu l’ont confirmé dans quelques témoignages.

« Je crois que le rôle du bâtiment 20 en tant qu’incubateur est vraiment le mot juste, car les gens se sont réunis et ont partagé des idées et des mots sans vraiment se soucier de qui vous étiez ou d’où vous venez. Et je pense que c’est le secret. » – Nelson Y-S. Kiang, professeur émérite de physiologie

« C’était un merveilleux mélange de gens impliqués dans différentes disciplines […] Quand nous avions des fêtes, il n’y avait pas de distinctions de classe. Les concierges et techniciens étaient là en train de s’amuser avec le reste d’entre nous » – Jerome Lettvin, professeur de physique et bio-ingénierie 

« Le bâtiment 20 était génial parce qu’il était dénué de toute prétention. Il attirait des gens qui ne se souciaient pas des apparences, qui coopéraient et travaillaient par joie. Vous ne pourriez retrouver cette atmosphère nulle part ailleurs à l’université. » – Gill Pratt, assistante de recherche au laboratoire de sciences informatiques

« C’était une communauté intellectuelle, ouverte et invitante, vraiment. Ce qui est bien, c’est que vous aviez des voisins qui n’étaient pas nécessairement des gens qui faisaient ce que vous faisiez. » – Une femme invitée à la cérémonie commémorative du bâtiment

Ces commentaires témoignent de la richesse de la divergence; la variété laisse place à un éventail d’idées alors que la collaboration les propulse à un niveau supérieur. 

 

Rénos et décos 

La laideur de l’endroit ainsi que sa supposée démolition constamment imminente ont donné aux individus la liberté de l’aménager à leur guise. Quand il fallait réorganiser une salle pour un projet, on pouvait le faire sans délai en modifiant les pièces déjà existantes; pas trop compliqué quand les murs sont en bois! 

La malléabilité du bâtiment rendait possible, entre autres, de passer des fils en faisant simplement des trous dans les murs – on réalisa plus tard le danger que posait l’amiante s’y trouvant – ou de carrément enlever des parties de plancher ou de plafond si nécessaire. C’est ce qu’a fait le physicien Jerrold Zacharias pour installer un cylindre d’une hauteur de trois étages pendant qu’il développait la première horloge atomique du monde (rien de moins).

 

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De plus, la nature temporaire du lieu permettait de le décorer librement. « J’ai appris à aimer le bâtiment 20. Il avait une personnalité bien propre à lui […] et tellement de potentiel pour la décoration. Je me rappelle d’avoir peinturé chaque tuyau d’une couleur différente » se remémore Neena Lyall, qui travaillait au laboratoire d’informatique.

L’autonomie d’arranger un espace de travail au gré de ses désirs a certainement de quoi faire rêver: pas de paperasse, de dépenses et de temps d’attente pour freiner la créativité. C’est en partie ce qui rendait le bâtiment si spécial; il évoluait avec ses occupants.

 

Ce qu’on peut en apprendre

Une disposition singulière combinée à un alliage de compétences ont été la source du succès du bâtiment 20, un contenant d’apparence ordinaire au contenu surprenant. 

Certes, l’histoire de ce lieu unique en son genre serait impossible à recréer aujourd’hui. Il demeure qu’on peut en tirer des leçons et les appliquer à petite ou grande échelle. La perméabilité ouvre des portes; les mélanges de personnes, de disciplines, de parcours et d’idées nourrissent la créativité. La tendance à tout caser dans des boîtes gagne à être surmontée. Additionnellement, en laissant aux gens l’autonomie d’organiser leurs espaces, on accélère les résultats. 

Même si elle n’existe plus aujourd’hui, cette structure comme nulle autre nous a laissé un héritage précieux: la preuve que la flexibilité, la diversité et l’inclusion font fleurir l’intelligence collective et individuelle. Qu’elles créent une valeur inestimable, sur tous les plans.

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Bonne cogitation!