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Qui a peur de la peur?

J’aime les films d’horreur. Je mange des histoires de fantômes au déjeuner. Je suis fascinée par les monstres. J’ai étudié les tueurs en série et leurs crimes en détail. Je ne vous parle pas de mon obsession avec les jeux de zombies et de mon mariage à l’Halloween, en noir (au grand dam de ma mère, d’ailleurs). Vous pensez que je suis une psychopathe maintenant ? Et bien, vous auriez tort. J’éprouve une grande fierté à tenter, chaque jour, d’aider quelqu’un. Je suis empathique, sensible et je vibre pour de grandes causes humanitaires. J’ai pleuré en regardant « The Salt of the Earth » et Bambi. Je ne dirais pas que je suis douce comme un agneau, mais je suis rarement en colère et je refuse catégoriquement l’agression, que ce soit pour moi-même, ou les autres. Vous vous dites donc : c’est quoi son problème ?

Et bien, justement, je n’en ai pas. Ma vie a des hauts et des bas, comme tout le monde, mais je n’ai aucun problème qui nuit à mes besoins essentiels. Je mange, je dors, je suis abritée, aimée et en sécurité. J’aime avoir peur, j’aime le mystère et j’aime particulièrement penser que la vie contient un côté inconnu et obscur, prêt à être découvert, mais il y a plus.

La peur, c’est universel et ça nous rapproche. Le psychologue américain Paul Ekman, pionnier de l’étude des expressions faciales, a déterminé qu’il y avait six émotions reconnues par les gens de toutes cultures : la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse et le dégoût. Ces émotions de base sont toutes communicatives et créent un lien entre les individus qui les ressentent, notamment grâce à la production d’hormones. Certaines libérées par une sensation de frayeur, comme l’ocytocine, ont aussi un rôle dans la création de liens émotionnels. On se rapproche donc de ceux qui nous sécurisent pour échapper aux monstres. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter les recherches de David Zald et de ses collègues.

La peur comme outil de survie

Fait fascinant : puisque la peur est un outil pour la survie et qu’il est impératif que vous surviviez, les expériences dans lesquelles elle est présente se retrouveront dans votre mémoire de façon plus vivide et détaillée. Et puis, les monstres, mythes et légendes sont également un moyen de s’expliquer le monde et de reprendre le contrôle sur ce qui est incontrôlable. *Provient d’une réflexion sur le travail de l’anthropologiste Claude Lévi-Strauss par l’auteur de Scream, Margee Kerr.

Dans des temps pas si immémoriaux, c’était un moyen très efficace de reprendre courage et de s’inspirer à la résistance face à des prédateurs ou à une nature imprévisible. Maintenant, ils nous permettent de parler de nos tabous et de nous créer des limites sociétales.

À un niveau plus individuel, une expérience terrifiante peut permettre de se libérer l’esprit complètement. Pris dans ce moment où notre cerveau se concentre sur la survie, tout le reste perd de l’importance. Ça remet bien des choses en perspective. Plus encore, avoir peur nous rappelle que nous pouvons avoir besoin des autres. Seule à la maison, après une petite frayeur, je pense à mes êtres chers. Quand je lis une histoire horrible, particulièrement si elle est véridique, je pense à combien je veux protéger ma famille et mes amis.

Cultiver le sens de l’aventure

Il ne faut évidemment pas tomber dans l’excès et se laisser arrêter par cette peur. N’ayant plus à éviter les bêtes sauvages, nous avons maintenant transféré nos soucis vers le terrorisme, le vol, les crimes violents, les maladies, bref, tout ce qui touche de près ou de loin notre santé et notre sécurité. Nous avons cependant peu de contrôle réel sur ces nouvelles menaces puisque notre environnement est complexe et rempli d’informations contradictoires. Nous devenons donc des êtres anxieux vulnérables, remplis de stress. Pour combattre ce sentiment d’impuissance, nous allons tenter de contrôler à l’extrême ce que nous mangeons et faisons, à qui nous parlons et où nous allons, en plus de passer le malaise à nos enfants (hum, hum, parents hélicoptères !). On y a perdu une compétence pourtant essentielle, la tolérance à la détresse ou résilience. 

Sans prendre de trop grands risques, il me semble donc important de cultiver un sens de l’aventure et de se créer des occasions de se mettre au défi et de conquérir. Un voyage palpitant ou une histoire d’épouvante sont des occasions de confronter nos peurs et de résoudre nos insécurités les plus profondes. C’est un moment d’émotions brutes et passer au travers nous donne confiance et nous sécurise face à nos peurs, nos habiletés et nous-mêmes.

Pour moi, les monstres, fantômes, zombies sont une manière de me familiariser et d’apprivoiser les peurs antiques et de mettre au défi mes capacités. Plus je m’enfonce dans le noir et plus j’y vois une lumière. Plus j’ai peur et moins je suis peureuse. Et puis, je vous jure que le contraste me fait apprécier d’autant plus les beautés et les joies de ce monde. 

Lectures recommandées : 

On Monsters: An Unnatural History of Our Worst Fears, Stephen T. Asma

Scream: Chilling Adventures in the Science of Fear, Margee Kerr